LA VIE EN ROSE [Papier peint sérigraphié]
La vie en rose semble reproduire les charmes de la vie champêtre, il infiltre les intérieurs de manière pernicieuse. Si les motifs font écho à la morale bourgeoise, ils révèlent à qui veut bien les voir les revers d’une société policée. Récupérant dans les archives de l’his- toire des scènes de conflits avec les forces de l’ordre – des arrestations de suffragettes aux grandes grèves ouvrières en Angleterre, des altercations musclées pendant les manifes- tations pour l’égalité des droits aux états -unis aux évènement de mai 68 – , le papier peint se fait la toile de fond d’un décrochage sémantique. Tandis que l’intérieur conforte ses habitants dans ses dogmes ou savoirs, qu’il protège des forces extérieures ou des étran- gers, il devient le terrain de scènes violentes menées précisément par ceux-là mêmes supposés maintenir l’ordre. Le motif, qui par principe se répète à l’infini, renvoie à une double opération : il se fait ornement de surface et répétition d’une mécanique rythmée sur le modèle industriel et marchand, traduisant un matraquage fondé sur la standardisa- tion et la discipline des corps.
Marion Zilio. Extrait du catalogue Cannibalisme <> animalisme, Paris, 2015.
Motifs aux grenades
Au premier abord il semble qu’il n’y ait rien à voir. Rien, sinon le blanc qui, très vite, se diffracte en deux parties, l’une plus mate que l’autre. D’un léger mouvement, d’un léger changement de point de vue, des formes surgissent, élégantes. C’est une apparition fluide qui émerge de la profondeur laiteuse du blanc comme une image lazaréenne dans le bac du révélateur. L’image « prend ». À moins que nous ne soyons pris par elle…
Pour saisir ce qui, insensiblement, circule à travers le travail de Valérie Vaubourg, il faudrait parler d’une pratique du leurre, entre charme et envoûtement. Reprenons le papier peint de Valérie Vaubourg. Il y a donc cela: un beau motif de feuillages et de fruits. Au vide immaculé (virginité ?) répond le motif proliférant (naissances ?), et l’image hésite entre latence et corporéité. Mais toute cette rhétorique du visible est comme portée à son acmé lorsque nous nous apercevons que les « fruits » sont… des grenades offensives. Une arme de guerre, de mort si semblable, en apparence, au fruit de la grenade (granadum, « fruit à grains »), symbole d’immortalité…
Ainsi, une forme fluide, feuilletée, merveilleusement séductrice, libérant un sens en attente, comme maintenu volontairement en retrait : telle est, en quelque sorte, la manière de Valérie Vaubourg
L’intransigeante pudeur nous ramène au plus près de nous, pauvres humains, où le drame, incessamment, est absorbé par la forme extérieure, et la beauté reconduite à sa sublime insignifiance.
Michel Cegarra