Welcome Home Hero

welcome Home Hero, 2014. Broderie mécanique. 50x25 cm
welcome Home Hero, 2014. Broderie mécanique. 50×25 cm
Welcome Home Hero, 2014. Broderie mécanique, 50x50 cm
Welcome Home Hero, 2014. Broderie mécanique, 50×50 cm

Valérie Vaubourg aime à définir son travail comme simple association de représentations préexistantes, d’images communes. Quelles que soient ses modalités matérielles (sérigraphie, pochoir, sculpture, etc.), le dispositif mis en place a en effet toujours pour vocation de révéler la nature de l’existant en confrontant entre eux différents registres du réel.

De nos jours le « camo » est un motif connu de tous. Tout comme les silhouettes de soldats morts qui peuplent les photographies de presse. L’association des deux en une seule image (Pour vivre heureux, restons cachés), même s’ils appartiennent de fait à un univers commun, questionne cependant l’un comme l’autre.

Johan Grzelczyk

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Pour vivre heureux, restons cachés (2007)  manifeste une transition dans le devenir du travail de Valérie Vaubourg. Déjà, les figures au trait disparaissent au profit de la silhouette – voire même de la tâche. La figure figurante s’est substituée à la figure figurée. Dans Phasmes, Georges Didi-Huberman distingue les « figures figurantes » des « figures figurées » : si la figure figurée est forme, aspect, eidos,  la figure figurante est « figure en suspens, en train de se faire, en train d’apparaître » ou de disparaître ; la figure figurante est figure en train de « se présenter », et non en train de « représenter ». Ainsi, les figures figurantes sont des figures qui semblent n’avoir « pas encore décidé à quoi elles vont s’identifier. »

Dans Pour vivre heureux, restons cachés (2007), ces figures figurantes sont des silhouettes de soldats morts ; des silhouettes traitées en aplat de couleurs différentes sur une cimaise ; associées les unes aux autres – de façon non systématique comme dans les papiers peints précédents –  en une sorte de champ de morts. Dans une autre version de ce travail, les silhouettes sont découpées dans des tissus de laine et cousues ensemble pour former un patchwork. La forme découpée et couturée a remplace le trait imprimé en surface. Un patchwork qui forme une étrange couverture treillis : si le treillis est utilisé afin de se cacher, de se fondre dans le décor, de se dissimuler au regard de l’ennemi, il est ici manifestation de la mort ; l’objet manifeste la mort à laquelle précisément il sert à échapper ; façon de représenter l’immonde.

Jacques Lacan repère précisément l’émergence de cet immonde dans l’anamorphose – qui constitue en ce sens un seuil visuel. L’immonde ou l’invisible serait, pour Lacan, ce qui est hors symbolique et hors imaginaire, c’est-à-dire ce qui ne peut ni se dire ni s’imaginariser. Lacan nomme cela la Chose – das Ding. Ce que Lacan nomme la Chose peut cependant apparaître dans le champ de la représentation pour s’y inscrire entre ; et c’est sous la forme de l’anamorphose que la Chose trouve sa représentation privilégiée pour Lacan. Lacan affirme, à partir de son observation de Les Ambassadeurs d’Holbein :

« Donc, dis-je, l’intérêt pour l’anamorphose est décrit comme le point tournant où, de cette illusion de l’espace, l’artiste retourne complètement l’utilisation, et s’efforce de la faire entrer dans le but primitif, à savoir d’en faire comme telle le support de cette réalité en tant que cachée – pour autant que, d’une certaine façon, il s’agit toujours dans une œuvre d’art de cerner la Chose.  »

9-pour-vivre-heureux-couverture-appliqueeLe patchwork camouflage de Pour vivre heureux, restons cachés (2007), peut être saisi selon cette détermination. Des figures figurantes – corps informes – sont associées pour finalement former un ensemble qui constitue lui-même, dans sa totalité, une autre figure figurante – un champ de mort. Ce que cerne ce patchwork, ce que circonfigure cette manière d’anamorphose décontextualisée, c’est le champ de la mort ; autrement dit la mort elle-même ; dissolution et disparition des corps. Manifestation qui se produit par un effet de réversion  ; pour reprendre un terme de Georges Didi-Huberman.

« La réversion est une question de seuil. Dans la réversion, en effet, un seuil se chantourne sur lui-même, un dedans touche presque un dehors, et le contact virtuel entre les deux s’ouvrage, s’ouvre, devient seuil visuel. »

Pour vivre heureux, restons cachés (2007) est le moment où apparaissent, dans le travail de Valérie Vaubourg, la figure figurante, le fil et le textile ; qui se vont se développer selon d’autres aspects ensuite. Dans Bouquet final (2010) – bouquet ou fragment déchiqueté ? ; Forêt enchantée (2011) et la série Procnée et Philomèle (2013) – des oiseaux dessinés au trait noir cousus par des fils rouges (fil de mort ; cf. Nature morte (2013)) ; Recherches (2013) et Chaperon (2014) – crânes de dentelles ou dentelle qui informe le vide du corps ?– La mort.

Frédéric Yvan