Texte d’Anne Benoit  » Le fil conducteur et le court-circuit »

Texte d’Anne Benoit

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« Le fil conducteur et le court-circuit

Valérie Vaubourg travaille le fil, le trait. Elle dessine dans l’espace et sur des surfaces lisses de tissus et de papiers le fil dessine en épaisseur, en superposition.
Le fil sous ses doigts devient petit à petit celui qui construit un sens, il nous dirige vers une dimension politique et sociale qui à priori nous échappait.

Car que ce soient les crânes en dentelle, les papiers peints, les papiers troués, tous les supports de Valérie Vaubourg nous parlent d’univers intime, privé, décoratif, appartenant à notre patrimoine commun, ce que l’on pourrait qualifier de « bel ouvrage » en quelle que sorte.
Mais ce qu’elle met en place c’est paradoxalement la construction de courts-circuits.

Ce qui est court-circuité c’est la tiédeur des corps sous les tissus de dentelles, la torpeur et l’humidité de la peau sous la douceur du vêtement tissé, tricoté.
La dentelle des « dessous » donne à voir à travers des vides cernés de fil. La dentelle des crânes donne à voir l’absence de chair, le vide. La dentelle n’est plus habitée.

Les crânes de Valérie Vaubourg sont donc de doubles allégories, de par la représentation symbolique de la mort mais aussi de par la fragilité des matériaux. Il nous rappelle les collerettes dentelées des peintures flamandes que les hommes aussi portaient, seules fioritures dans leur parure en noir et blanc, seule légèreté… vanités…

Ce sont des crânes de petits animaux, presque domestiques, proches de nous : une vision presque gastronomique, amère, trouble.

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Omnia Vanitas, crâne de porc moulé en dentelle polymérisée, 25 x 20 x 13 cm, 2010.

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C’est ce type de court-circuit que l’on trouve en permanence dans son œuvre : De jolis matériaux, de la blancheur, de la pureté, un beau métier, de la belle ouvrage, mais ce qui est donné à voir déstabilise notre impression sensuelle.
Le fil conducteur est celui qui va diriger notre réflexion de regardeur, le court-circuit c’est la décharge ressentie quand on prend conscience du dispositif : à première vue doux, voir féminin, sensuel, tactile, et d’uns seul coup cela râpe, grince… la tendresse maternelle… l’enfance… les matériaux se transforment en pièges qui nous électrisent.

L’ouvrage de dame est une sorte de Rrose Selavy (1), il prend des allures qui ne sont pas que cela. L’ouvrage de dame est un leurre, un piège.
Aidée de son collaborateur pour de nombreux travaux, elle utilise aussi des amies de passage pour broder des mouches comme on brode des fleurs. Dans la cuisine transformée en atelier, les petites mains se mettent à coudre du « dérangeant ». Alors qu’avant on apprenait à décorer les foyers, patiemment et souvent par devoir, les amies de Valérie Vaubourg se rassemblent pour coudre des mouches. Elles utilisent le fil noir pour déranger sous toutes les coutures et travailler ainsi avec de petits jeux d’aiguilles la lisière de nos habitudes domestiques et esthétiques.

La mise en place des courts-circuits devient alors à la fois piège et instrument de libération. Valérie Vaubourg s’attaque aux carcans de nos idées reçues et c’est en suivant les fils conducteurs que l’on retrouve cachées les images de grèves, de manifestations, de tortures… Ce qui est court- circuité ce n’est pas le caractère décoratif apparent de ses œuvres (dentelles, toiles de jouy, papier peint…) mais bien la lecture trop facile des images et des signes et notre aptitude à nous assoupir sans conscience ni réactivité dans notre quotidien. »

Anne Benoit

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1. « La première apparition de Rose Sélavy en tant que représentation de Marcel Duchamp travesti en femme date du printemps 1921. C est une photographie de Man Ray réalisée pour l’étiquette du flacon de parfum Belle Haleine, eau de voilette. Cette étiquette est posée sur une bouteille de parfum Rigaud. »
Bernard Marcadé : MARCEL DUCHAMP, La Vie à crédit

Court-circuit : accident qui se produit quand deux conducteurs traversés chacun par un courant se trouvent en contact.